Maroc : ce que contient le premier texte contre les violences faites aux femmes

Samedi 17 Février 2018

Initié il y a cinq ans, le texte de loi contre les violences faites aux femmes, très attendu par la société civile marocaine, a été adopté mercredi 14 février par le Parlement marocain. «Enfin, ce projet de loi 103.13 a été définitivement adopté par la première Chambre en deuxième lecture […] avec 168 voix pour et 55 contre», a annoncé fièrement le jour même la ministre de la Famille, Bassima Hakkaoui, issue du Parti justice et développement (PJD, islamiste), qui conduit la coalition gouvernementale.
La loi contient notamment des mesures pour lutter contre le harcèlement de rue ou le harcèlement au travail, mais c’est surtout la question du mariage forcé des mineures et la non-reconnaissance du viol conjugal qui ont provoqué le plus de débats ainsi que la déception des associations.

Selon la ministre de la Famille, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, cette loi va permettre de combler des insuffisances de la Moudawana - le code du statut personnel marocain promulgué par le roi Mohammed VI en 2004, notamment en matière de mariage des mineures. En effet, après que la Moudawana a repoussé l’âge minimum légal de mariage de 15 ans à 18 ans, il s’agit, avec ce nouveau texte, de «sanctionner par voie pénale le fait de forcer une fille à se marier».

Ce qu’il y a – et ce qu’il n’y a pas – dans la loi

Nouzha Skalli, députée du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et ancienne ministre de la Famille en charge des droits des femmes, rappelle le contexte : «En 2004, la réforme du code de la famille a constitué à l’unanimité un pas structurant du point de vue sociétal. Mais jusqu’à aujourd’hui, on était en stand-by du côté pénal, explique-t-elle à LibérationOr, ce projet de loi tant attendu reste en décalage au niveau des droits de l’homme par rapport à la nouvelle Constitution.» L’ex-ministre regrette la subsistance des concepts «obsolètes» d'«atteinte à la pudeur publique» et à «la morale» dans cette loi, à laquelle elle dénie même cette définition. «Il ne s’agit pas d’une loi mais de réformes de certains articles de loi», déplore-t-elle.

Concrètement, ce projet de loi instaure une peine de prison allant d’un à six mois ou une amende allant de 10 000 à 30 000 dirhams (880 à 2 635 euros) à l’encontre de celui ou celle qui force une fille à se marier, les deux peines pouvant se cumuler.

Mais pour la sociologue et militante féministe marocaine Soumaya Naamane Guessous, il subsiste encore des possibilités de contourner la loi, alors qu’il faudrait sanctionner pénalement et systématiquement tout mariage forcé ou d’une fille mineure : «Aujourd’hui, à l’âge de 17 ans révolu, un père peut amener sa fille devant le juge qui, sans expertise médicale et uniquement en fonction de son allure physique, statue sur sa capacité ou non à supporter des relations sexuelles, en sachant que les juges abondent dans ces cas dans le sens de la tradition», décrit-elle. Et de souligner qu’une mineure déscolarisée, en milieu rural, est inutile aux yeux de sa famille tant qu’elle ne se marie pas.

Nouzha Skalli fustige quant à elle le maintien de l’article 16 du code de la famille qui permettait de régulariser des mariages informels au bout de cinq ans et qui rallonge à présent ce délai de dix ans. «Or ce qui est courant, essentiellement dans les milieux ruraux c’est de contracter des mariages coutumiers (orfi) de mineures et de les faire régulariser quelques années plus tard», développe l’ancienne ministre. Une lacune juridique qui finit donc par favoriser le mariage des petites filles en rendant possible sa légalisation postérieure.

L’autre volet que regrettent les acteurs de la société civile, c’est l’absence de reconnaissance du viol conjugal, ajoute Skalli, qui déplore par ailleurs l’absence de concertation avec les associations en charge de ces questions. La sociologue et militante féministe Guessous martèle que «ce viol entre dans le champ du devoir conjugal». Elle regrette que «la ministre n’ait pas eu le cran de s’attaquer à cette question très sensible au Maroc, notamment parce qu’elle est encore fortement ancrée dans les traditions locales surtout en milieu rural [qui représente 40 % de la population marocaine, ndlr]».
 

Une avancée dans la lutte contre le harcèlement de rue

Pour autant, cette loi incrimine pour la première fois «certains actes considérés comme des formes de harcèlement, d’agression, d’exploitation sexuelle ou de mauvais traitement», pour reprendre les termes du ministère de la Famille.

Elle prévoit des mesures de lutte contre le harcèlement dans les lieux publics, notamment des peines allant d’un à six mois d’emprisonnement et une amende de 2 000 à 10 000 dirhams. Quant à la punition en cas de harcèlement par un proche, un collègue ou une personne chargée de maintenir l’ordre dans l’espace public, elle serait doublée. Par ailleurs, le texte prévoit également des «mécanismes pour prendre en charge les femmes victimes de violences». Tout en refusant la possibilité pour les associations de se porter partie civile sans l’autorisation des victimes, «alors même que ces dernières subissent des pressions extrêmement fortes», pointe néanmoins Nouzha Skalli.

Selon une récente enquête publiée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP), l’organisme statistique marocain, 40,6 % des femmes en milieu urbain âgées de 18 à 64 ans, ont déclaré avoir été «victimes au moins une fois d’un acte de violence».
Dounia Hadni

Source : http://www.liberation.fr/planete/2018/02/16/maroc-...